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Note de marché par Mathieu Mucherie : PAS DE ROTATION

Article du 20/09/2024
Voici une note de marché rédigée par l'économiste de marchés Mathieu Mucherie, qui en est à son deuxième article, exclusivement pour les lecteurs de Francebourse.com

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On nous parle depuis des années de rotations : la rotation sectorielle (l’idée que les secteurs loosers ou défensifs vont finir par prendre leur revanche sur la Tech), la rotation de taille (une revanche des small caps sur les big caps), la rotation transatlantique (la fin de la sous-performance européenne). Au moins pour cette dernière, à chaque fois, des trésors d’imagination commerciale sont déployés, à chaque fois ça ne marche pas. Les marchés persistent et signent. Regardons les perfs transatlantiques, où la cassure de 2008 s’amplifie sans cesse (voir graphique ci joint)

« Trichet nous a tué », pourraient dire nos indices actions, post-mortem.
Il faut une bonne dose de cran ou de sans-gêne pour venir nous parler d’une inversion imminente en faveur de l’Europe. Comme le disait Carl Sagan, si votre affirmation est très forte, il faut un niveau très élevé de preuves. Où sont les faisceaux d’indices en faveur du Vient Continent et en particulier en faveur de la zone euro, après 16 années aussi unidirectionnelles ?
Chacune des "Magnificent 7" investira en moyenne 300 fois plus que Dassault Systèmes en 2025 : à votre avis, qui va dominer les prochaines années ?
Quand on demande aux jeunes ce qu’ils voudraient faire plus tard, les occidentaux répondent en premier : influenceur beauté sur un réseau social ; quand on leur pose la même question, les jeunes chinois répondent en premier : astronaute. A votre avis, qui va dominer à moyen terme ?
Il est vrai qu’il faut être humble en la matière. Les mouvements constatés au cours des 30 années qui ont précédé 2008 ont souvent été déconcertants.
Il y a bien sur l’effet FX, et plein d’autres facteurs délicats à interpréter et plus encore à prévoir. Il y a aussi la problématique des rachats et des retraits de côte, mais qui a l’avantage d’être à peu près symétrique (l’Allemagne a perdu 40% de ses entreprises cotées depuis 2007, mais les États-Unis ont connu une baisse de même ampleur depuis 1996).
Nous sommes là sur un terrain hypercomplexe, et je ne voudrais pas donner l’impression de venir au secours de la victoire alors qu’en réalité mes écrits sont très nettement bull equity US depuis 2009 ; après tout, les valorisations sont très tendues outre-Atlantique, le Nasdaq à 33 fois les bénéfices, Nvidia à 25 fois son chiffre d’affaires.
Je dis simplement que la charge de la preuve appartient aux europhiles, parce qu’ils ont eu tort massivement, et depuis longtemps.

Que nous disent-ils au juste ? Qu’il ne faut pas enterrer la zone euro, que cette dernière se renforce de crise en crise, que nous allons mettre en œuvre des plans de relance, sur fond de valorisations plus raisonnables, et de velléités de réformes. Le problème est qu’ils nous disent tout cela depuis des années, et qu’on ne voit rien venir, sauf la communication institutionnelle qui poudroie et la réglementation qui verdoie.

Regardez le dernier rapport en date, celui de Mario Draghi. Et jouez ensuite avec moi au jeu des 7 erreurs :

1/ est-il décent de commander en 2024 un énième opus de 400 pages sur la productivité alors que cette dernière est en baisse depuis 2017 en zone euro ? Quand cesserons-nous d’être sponsorisés par Dunlopilo ?

2/ est-il normal de confier ce boulot à un non-économiste, si impliquée dans les décisions depuis des années qu’il est forcément juge et partie ?

3/ si le sujet est la « compétitivité », pourquoi le problème ne serait pas résolu par le marché (à travers une baisse de l’euro), du moins si la BCE le laissait faire ? si le sujet est la technologie, croit-on vraiment que le décrochage avec les USA sera comblé avec des gadgets comme une DARPA européenne ? si le sujet est la mobilité, le marché immobilier étant bloqué par les restrictions foncières, à quand une évaluation sérieuse de ces dernières, pour commencer à les combattre ? si le sujet est la disponibilité en énergie pilotable et sans émission de Co2, où sont les vrais plans de relance du nucléaire qui iraient au-delà des vœux pieux et plus vite que le vieillissement du parc actuel ?

4/ n’est-il pas révélateur que toute la gauche normalienne ait applaudi (Piketty en tête) un rapport qui propose 800 milliards de dépenses supplémentaires TOUS LES ANS (officiellement, via des obligations vertes et UE, officieusement grâce à vos impôts et grâce au « fléchage » de votre assurance-vie) ? nous manquons de keynésianisme budgétaire en Europe comme les banlieues de Houston manquent d’échangeurs autoroutiers…

5/ au fond, l’analyse de nos élites repose toujours sur le « big is beautiful », l’idée de fusionner les boites, les monnaies, les nations (mais pas les banques, parce que les allemands refusent). Le mythe des Etats-Unis d’Europe, qui parcours toute la carrière de Draghi. Pourtant, les rares réformes réussies l’ont été à l’échelle de firmes particulières ou dans de petits pays soudés, loin des grands ensembles. L’Irlande est le seul pays en excèdent budgétaire. La Suisse et la Norvège sont les pays les moins mal gérés. Les réussites de la Pologne, du Danemark et de quelques autres sont presque toutes liées à des clauses d’opting out. Les préférences collectives sont mieux révélées à l’échelle locale, et au lieu de cultiver la subsidiarité on fait l’apologie de dettes communautarisées, de lits de Procuste, etc.

6/ après avoir subi pendant des années une propagande qui nous disait qu’un Stéphane Israël pouvait battre un Elon Musk, ou que le plan de relance européen « ne serait pas payé par les européens » (Thierry Breton), ne pourrions-nous pas exiger une petite réflexion sur le casting ? ou obtenir au moins un tout petit peu d’évaluation des politiques publiques ?

7/ pourquoi n’aborde-t-on jamais des pistes alternatives et à l’échelle, comme la participation, un vaste swap debt to equity, des remises de dettes, un alignement de la fiscalité de l’endettement sur celle des fonds propres, un retour des incitations sur des marchés comme celui de l’éducation ? pourquoi tous les sujets qui fâchent (l’euro, le télétravail, l’immigration…) ne sont-ils jamais traités ?
Rien ne peut réveiller un européen. Les rapports s’enchainent, les vraies réformes se trainent.

Euroland est devenu un Reformland (la réforme toujours pour demain, et toujours pour les autres bien entendu), un pays où on n’arrive jamais. Tous les investisseurs de la planète qui peuvent l’éviter (parce que leur passif n’est pas libellé en euros) l’évitent.
Même quand le diagnostic est à peu près bien fait, les auteurs se dispersent en solutions multiples, et la montagne de papier accouche d’une souris, souris qui devra ensuite se faufiler entre les banquiers centraux, les juges, les lobbys, les ESG, les divers destructeurs sans talent de ce continent. On compte sur la chance à Francfort (donnez-moi des hydrocarbures pas trop chers, pour que mon inflation statistique CPI soit sage, sinon je monte le prix du crédit, comme ça, au hasard), sur des hivers assez doux pour ne pas trop exposer notre dépendance aux huiles américaines, et sur la débrouillardise des entrepreneurs partout ailleurs ; et, Dieu merci, il en reste.
C’est là notre chance, le fait qu’à défaut de terreau économique fertile l’Europe comporte encore un certain nombre de belles plantes, mondialisées et entrepreneuriales, dans une logique hydroponique en quelque sorte. Une terre de stock picking en somme, un nouveau Japon, en plus grand. Il y a plein de choses à faire, mais pas dans le domaine des boites domestiques de moyenne gamme, dans celui des boites ingénieuses et extraverties. LVMH plutôt que Crédit Agricole. Pernod Ricard plutôt qu’Engie. A fortiori quand elles ne sont plus trop chères, comme aujourd’hui.

L’upside ne viendra pas des politiques publiques, du haut. L’autre jour, les médias s’étonnaient qu’Intel repousse ses projets d’usines en Allemagne et en Pologne ; « les espoirs de regain européen sont fragilisés », etc. Vous voyez à quel niveau d’irréalité planent nos petits planificateurs, qui s’imaginent se relancer dans les semiconducteurs en s’appuyant sur un zombie comme Intel ! Non, l’upside ne viendra pas du haut, mais des côtés ; de Chine en particulier.
Aujourd’hui cette position n’est pas consensuelle. Les analystes attaquent la Chine comme s’ils étaient des moustiques sur une plage de nudistes. Le luxe traverse une mauvaise phase. L’euro est perçu comme stable, après 9 années autour de 1,1 contre USD. Le stock-picking n’a pas trop la côte. Et tout le monde spécule sur les effets des baisses de taux à venir de la FED et de la BCE. On attend Godot, on attend un miracle venu de la montagne sacrée de Francfort, on prie ceux qui nous ont mis là. Mais ne vous y trompez pas. C’est en Chine que le niveau monte, pas chez nous. Les boites du luxe et de l’agroalimentaire liquide sont de belles maisons qui vaudront toujours quelque chose, alors que je n’en dirais pas autant de Stellantis. L’euro est à la ramasse dans ses fondamentaux, suspendu au-dessus du vide et de plus en plus coûteux à maintenir. La discrimination va s’imposer car la marée ne va plus être montante et fort peu de boites eurolandaises ont investi pour défricher les terres de l’avenir. Et enfin, un taux de 3% en zone euro est bien plus restrictif pour la demande intérieure qu’un taux de 4,5% aux USA. Les Américains font autant de bêtises que nous mais ils peuvent davantage se le permettre. Vous pouvez investir en actions européennes, mais à condition d’être extrêmement sélectif, vers des boites internationalisées que vous connaissez bien, affranchies de la thématique du pouvoir d’achat en France, et qui ne dépendent pas trop des Mozart budgétaires et monétaires qui nous gouvernent en zone euro.

Mathieu Mucherie
pour Francebourse.com
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